– L’un des pires, ce sont les rats. Nous devons maintenir l’ordre ici – si les rats ont carte blanche, vous mourrez rapidement, dit Victor à l’intérieur du tunnel sous l’Interstate 85 dans le centre d’Atlanta, en Géorgie.

Il pleure, met son visage dans ses grosses paumes. Dehors, le siège mondial de Coca-Cola s’élève dans le ciel.

À côté de lui se trouve Kaiyne aveugle, appuyée sur une béquille, vêtue d’un bas de bikini. Elle passe ses doigts sur la peau marquée par quelque chose qui ressemble à la variole du singe ou à une autre maladie infectieuse. Lorsque sa mère est décédée du corona, elle a été laissée à elle-même avec ses handicaps et s’est donc rapidement retrouvée à la rue.

C’est aussi la pandémie qui a privé Victor de son travail, de sa propre maison. Maintenant, ils se retrouvent ici ensemble, une communauté de destin sous un pont au bord d’une autoroute à quatre voies. Ils forment un petit groupe ici depuis près de deux ans. Les voitures défilent à grande vitesse, un danger constant, un bruit constant.

– C’est à peine possible de dormir ici, dit Victor.

Le tunnel offre néanmoins un abri contre les intempéries, un mur contre lequel s’appuyer, et il y a peu de passants sournois à pied à l’intérieur d’une machine de circulation.

– C’est une vie dangereuse. Nous risquons constamment d’être assassinés, dit-il.

Le nombre de meurtres de sans-abri a considérablement augmenté aux États-Unis ces dernières années, selon le département de police de Los Angeles (LAPD), 85 personnes ont été tuées l’an dernier rien qu’à Los Angeles. Sur Google, on demande si l’on peut être puni du tout pour le meurtre d’un sans-abri. Selon la National Coalition for the Homeless, l’espérance de vie moyenne d’un Américain sans logement est de 50 ans.

– Nous ne sommes pas considérés comme des personnes. Nous, pauvres et malades, sommes les premiers à fumer quand il y a quelque chose. Ce n’est pas une société faite pour ceux d’en bas.

Victor s’accroupit, les bras levés.

– Regardez à l’extérieur tous ces nouveaux immeubles de grande hauteur avec leur condos. Tout est crédit. Et l’inflation frappe plus durement les gens comme nous. Quand le prix d’un petit sac de chips passe de deux à quatre dollars, je dois me coucher le ventre vide tous les soirs.

Il offre une étreinte en larmes. Un homme plus âgé portant une cape se présente comme frère Johnson. Les trois forment une sorte de demi-cercle, touchent leur cœur, lèvent les bras vers le plafond du tunnel et prient Dieu.