Selon Elizabeth Buchanan, du Modern War Institute de l’académie militaire américaine de West Point, cette décision aura probablement des retombées géostratégiques négatives. Cette décision signifie que « des États comme la Russie et la Chine disposent à la fois d’un précédent et d’une intention à faire valoir pour établir leurs propres pratiques d’exploitation minière en eaux profondes », ajoute-t-elle.

En outre, environ un tiers de la zone ouverte par la Norvège chevauche le plateau continental et la zone de protection de la pêche autour de l’archipel du Svalbard. Ces îles de l’Arctique, situées au nord de la Norvège, sont régies par un accord datant des années 1920 qui prévoit la non-discrimination entre les 46 parties signataires, dont la France, l’Italie, le Japon et les États-Unis. « Tous les citoyens et toutes les entreprises des signataires ont les mêmes droits » en matière de pêche et de tout type d’activité maritime, déclare Soltvedt Hvinden.

Les signataires sont déjà en désaccord sur la manière d’interpréter la portée et l’application du traité. La Norvège affirme qu’il ne s’étend qu’aux eaux territoriales du Svalbard, à 12 milles nautiques des côtes des îles, alors que d’autres, comme les Pays-Bas, soutiennent que le traité devrait couvrir la zone économique exclusive de l’archipel, qui se trouve à 200 milles nautiques de ses côtes – ce qui serait conforme à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, explique M. Johansen. Les signataires « pourraient considérer qu’une ouverture donnant aux entreprises norvégiennes des droits spéciaux en termes d’exploration et d’exploitation constitue une violation du traité », déclare Soltvedt Hvinden. L’Islande et la Russie ont déjà fait part de ce point de vue.

L’impact sur les stocks de poissons reste également à déterminer. L’Association norvégienne des pêcheurs a été consultée mais n’a finalement pas été écoutée, selon un porte-parole, Jan Henrik Sandberg. L’industrie représente 11 000 pêcheurs et 19 000 emplois supplémentaires à terre.

« Nous ne savons encore presque rien des effets potentiels de l’exploitation minière marine sur les stocks de poissons », déclare M. Sandberg, bien que la zone ouverte ne soit pas l’une des plus importantes zones de pêche de Norvège, ajoute-t-il. Cependant, des navires étrangers parcourent également ces zones de pêche en vertu d’accords bilatéraux et internationaux.

Alors que la Norvège ouvre ses portes aux prospecteurs, la pression sur l’industrie naissante de l’exploitation minière en eaux profondes s’accroît à l’échelle mondiale. Au total, 24 pays, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont demandé un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes jusqu’à ce que des recherches plus approfondies soient menées. En novembre dernier, près de 120 membres du Parlement européen ont signé une lettre dénonçant la décision de la Norvège d’ouvrir ses fonds marins.

L’UE a déjà demandé une interdiction temporaire de l’industrie minière jusqu’à ce que des recherches plus approfondies soient menées, notamment dans une proposition de loi sur les matières premières critiques, sa stratégie visant à garantir l’approvisionnement de ces matières. De grandes entreprises comme Microsoft et Ford ont également pris position, déclarant qu’elles n’utiliseraient pas de matières premières extraites des grands fonds marins.

Face à toutes ces réactions, Mme Fjærtoft, du WWF, est aussi perplexe qu’optimiste. Il est difficile de dire si la décision de la Norvège suscitera davantage d’opposition, dit-elle. Mais elle a permis de « sensibiliser le monde entier à l’exploitation minière en eaux profondes et à la menace qu’elle fait peser sur notre avenir ».