Il y a cent ans, on disait de la Norvège qu’elle était l’un des pays les plus pauvres d’Europe, gagnant son rang actuel grâce à la manne du gaz et du pétrole à partir des années 70. C’était faux. La Norvège se plaçait déjà dans les années 60-70 comme l’un des pays les plus riches de l’Europe occidentale, avec l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni.

Depuis 1967, un fonds souverain, rempli d’argent supplémentaire provenant de cette industrie, judicieusement investi, a amené la Norvège à devenir l’un des pays les plus avancés au monde en termes d’indice de développement humain (en fait le deuxième, juste après la Suisse).

En 1990, la Norvège occupait la 7e position, la 5e en 1995, et depuis 2000, elle rivalise férocement avec les Helvètes pour la première place. En 2022, Israël, la Grèce et Chypre se sont placés entre la 22e et la 33e position.

La Turquie est 48e, la Roumanie atteint le niveau de la Russie, 52e. La Géorgie et la Bulgarie ferment la marche au 70e rang. L’Arménie 85e. L’Égypte presque 100e.

La Norvège doit son bond en avant à l’industrie pétrolière et gazière, pleinement exploitée depuis la crise de 1973, sous différentes formes, mais plus encore au fonds souverain qui compte aujourd’hui pour un peu moins de 1 200 milliards de dollars.

Ce pays de 5,5 millions d’habitants, a construit l’une des meilleures sociétés du monde, avec l’une des meilleures infrastructures, universités, et système social, après des investissements fructueux en moins de trois décennies.

Avec la crise énergétique actuelle à laquelle l’UE est confrontée, en raison de la guerre en Ukraine, la recherche de réponses est rapidement devenue vitale. Des partenaires fiables, efficaces et géographiquement proches doivent être trouvés, mais ils restent rares dans ce monde.

Les nombreux champs de gaz découverts dans la Méditerranée orientale, depuis quelques années déjà, cocheraient toutes les cases.

Les pays concernés sont Israël, Chypre, le Liban et l’Egypte. Très récemment, en raison du potentiel énergétique de la région, la Grèce et la Turquie ont lancé une prospection sismique dans la mer Égée, ce qui a suscité d’énormes tensions.

Afin d’éviter tout problème d’exploitation de la zone exclusive, le forage d’exploration a commencé depuis quelques mois au sud de la Crète et du Péloponnèse. Peut-être la Grèce rejoindra-t-elle bientôt le club des pays exportateurs de gaz.

A partir de maintenant, les pays cités commencent ou vont déjà exploiter et exporter du gaz.

Les principaux champs avec des réserves de gaz prouvées sont les suivants :

  • Au large de Chypre, les forages Aphrodite, Glaucus et Calypso, rassemblant au total 15 trillions de pieds cubes de réserves prouvées
  • Aphrodite = 3,6 trillions de pieds cubes = 3 600 000 000 000 de pieds cubes
  • Glaucus = 5 000 000 000 000 de pieds cubes
  • Calypso = 6 000 000 000 000 de pieds cubes

au total, environ 15 000 000 000 de pieds cubes de réserves prouvées

3 trillions (3 000 000 000 000) de mètres cubes.

Et d’Israël, le double de cela, avec 30 trillions de pieds cubes de réserves prouvées, déjà en exploitation.

  • Tamar = 10 000 000 000 000 de pieds cubes.
  • Léviathan = 20 000 000 000 000 de pieds cubes.

En tout, environ 30 000 000 000 de pieds cubes de réserves prouvées.

Faisons quelques calculs maintenant… même très approximatifs.

Avant le covid et la guerre en Ukraine, le prix spot du gaz fluctuait bien autour de 3 $ par MMBtu (million British thermal Unit).

Sachant que 1 000 pieds cubes de gaz donnent 1MMBtu, et comme Chypre est assise sur environ 15 milliards de MMBtu, cela représenterait environ 45 milliards de dollars.

Pour Israël, le trésor atteint 90 milliards de dollars.

Connaissant le potentiel d’exploitation, la Grèce, avec un optimisme plutôt juste peut également s’attendre à obtenir une bonne part du gâteau.

Le lien avec la Norvège devient clair.

L’Égypte devrait également tirer une énorme somme d’argent de l’exploitation du gaz, mais les 100 millions d’habitants ont besoin de tellement d’investissements que le jackpot global sera, au mieux, entièrement utilisé pour améliorer les infrastructures et le système social du pays (hôpitaux, écoles…).

Le Liban, presque ruiné, va peut-être retrouver une situation économique normale.

Pour Chypre, Israël et la Grèce, la situation est très différente, avec des perspectives ambitieuses réalistes.

Chypre rassemble un peu plus d’un million d’habitants, Israël, autant que la Grèce, environ 10 millions d’habitants.

Par habitant, la manne gazière représente 45 000 dollars à Chypre, et 90 000 dollars en Israël.

Chaque personne, nouveau-né ou personne âgée de Nicosie ou de Tel Aviv, pourrait virtuellement réclamer des paquets de milliers de dollars au cours des décennies à venir.

Ces montants ne doivent pas être considérés comme très rigoureux, mais plutôt comme une estimation approximative. La société qui exploite les gisements obtiendra sa part, une part énorme. Le reste de la manne du gaz ne va pas directement dans les poches des gens, mais dans la caisse de l’État par le biais des taxes.

À partir de là, Israël, Chypre et très probablement la Grèce, moins peuplée et avec un état de développement similaire, seront confrontés à des choix stratégiques. Les routes, les hôpitaux, les universités, les écoles, etc… pourraient être meilleurs, mais ils existent déjà, et dans un état décent.

Il est certain qu’une partie de cet excédent financier sera allouée à la réduction de la dette du pays, et à la poursuite des investissements nécessaires tels que l’amélioration du système social et des infrastructures.

Qu’en est-il du reste ? La Norvège a commencé avec 23 milliards de dollars en 1998 (environ 5200 $/habitant) leur fonds de richesse réelle (le fonds de pension du gouvernement mondial), valait avant la crise des covides 1,4 milliards de dollars.

Indépendamment de l’inflation, et de la valeur constante du dollar au fil des ans, un tel investissement dans des fonds souverains a permis à la Norvège, et à d’autres pays disposant de tels outils financiers, de devenir indépendants, et donc beaucoup plus respectés sur la scène internationale.

La perspective de Chypre et d’Israël, potentiellement de la Grèce, est seulement si l’enquête sur le forage au large de la Crète et du Péloponnèse donne des attentes positives et devrait déjà être prévisible.

Israël détient pour 500 millions de dollars d’actifs dans son Fonds des citoyens israéliens. Celui de la Grèce, HCAP, a des capacités d’investissement de 100 millions d’euros. Le fonds souverain chypriote, nommé National Investment Fund, existe depuis 2019, lorsque la découverte et l’exploitation du gaz ont ouvert d’immenses perspectives financières. Il n’attend plus que ses premiers euros.

Comme ces pays ont à peu près la taille de la Norvège, les effets des investissements des fonds souverains devraient être perceptibles dans un petit laps de temps.

Le public devrait être conscient des montants en jeu, des perspectives et de la manne potentielle que représente l’exploitation du gaz. Les fonds souverains d’Israël et de Chypre pourraient devenir d’ici quelques années un acteur de poids dans l’économie locale, voire sur la scène internationale.

Les citoyens doivent connaître et réfléchir à cet atout, et faire entendre démocratiquement leur voix et leurs souhaits afin d’utiliser cette manne gazière le plus judicieusement possible.

Auteur : Regis Robert DANIELIAN est un physicien franco-arménien diplômé de l’Université de la Sorbonne. Il est citoyen de l’État-Net et chef de projet au département Infrastructures énergétiques de l’État-Net.

Copyright GreekCityTimes 2022

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