Dans « The privilege we liberals can’t see » publié le 15 septembre, le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof affirme que ce privilège invisible est le « privilège biparental« . Il affirme avec force que les enfants américains vivant dans des familles monoparentales ont un taux de pauvreté bien plus élevé que les enfants vivant dans des familles biparentales. Ces données sont incontestables. Cependant, elles ne disent pas tout.

Tout d’abord, notez que parmi les familles avec enfants, 24 % des enfants américains vivent dans des familles monoparentales. En outre, le taux global de pauvreté des enfants aux États-Unis est alarmant (12 %), tandis que le taux de pauvreté des enfants vivant dans des familles monoparentales est encore plus stupéfiant (32 %).

Pour mieux comprendre ces phénomènes, prenons l’exemple de la Norvège, où 20 % des enfants vivent dans des familles monoparentales. Ce chiffre n’est pas aussi élevé qu’aux États-Unis, mais il est comparable. Néanmoins, le taux global de pauvreté des enfants norvégiens n’est que de 9 % (trois quarts du taux américain) et le taux de pauvreté des enfants norvégiens vivant dans des familles monoparentales est de 20 % (seulement deux tiers du taux américain comparable).

En outre, si l’on considère uniquement les 20 % les plus pauvres des populations américaine et norvégienne, on constate que le revenu individuel moyen des Norvégiens appartenant à ce centile est environ deux fois supérieur à celui de la personne moyenne appartenant à ce centile aux États-Unis.

En d’autres termes, alors qu’il existe un lien clair entre la pauvreté des enfants et la monoparentalité aux États-Unis, ce lien est moins évident et moins grave en Norvège. Et pour les enfants pauvres, les possibilités de surmonter cette pauvreté sont bien plus nombreuses en Norvège.

Par exemple, contrairement aux États-Unis, la Norvège offre un long congé de maternité payé, un congé de paternité payé, des allocations aux parents isolés, des services de garde d’enfants gratuits pour les familles à faible revenu, des congés de maladie payés, une couverture médicale universelle, des transports publics bon marché et pratiques, un enseignement primaire, secondaire et postsecondaire gratuit, et bien d’autres choses encore. En effet, les soins de santé et l’éducation (en particulier l’éducation préscolaire), ainsi que le transport scolaire (évitant ainsi le taux d’absentéisme chronique élevé aux États-Unis) sont probablement les éléments les plus importants pour surmonter la pauvreté de l’enfance et devenir un adulte qui réussit économiquement.

En conclusion, ne nous contentons pas de pointer du doigt la monoparentalité comme source de pauvreté infantile. Examinons également les systèmes sociaux et les politiques en matière d’éducation, de soins de santé et d’aide au revenu qui existent. Enfin, ne nous inquiétons pas trop de l’impact fiscal des programmes sociaux, surtout si les Américains devaient surmonter leur réticence historique à taxer les revenus et la richesse (comme les plus-values) de leurs citoyens et sociétés les plus riches.

Jacqueline Brux est professeur émérite d’économie à l’université du Wisconsin-River Falls. Elle écrit actuellement un livre sur la comparaison entre la Norvège et les États-Unis en ce qui concerne leurs systèmes sociaux et leurs résultats.